Mes chers collègues, après une longue carrière dans l'administration qui m'a menée à divers postes à responsabilité en tant que Directeur des Services Pénitentiaires et pour donner suite aux dernières restitutions du Syndicat SNP FO-Direction, je souhaite aujourd'hui vous faire part de mon étonnement, mon agacement et mes réflexions sur l'évolution du métier, de ses conditions d'emploi et de travail au quotidien.
« J'ai tout d'abord une impression de lassitude car je constate que malgré notre grande patience, nous sommes les derniers servis, lorsque cela arrive seulement et que dans ce cas, cela traîne beaucoup et arrive à portion congrue pour divers motifs...
Lorsque je considère le traitement des magistrats, des commissaires et des directeurs d'hôpitaux (sans parler de celui des attachés au sein même de la DAP...) et particulièrement le volet indemnitaire. Lorsque je considère mes contraintes, mes responsabilités, mes ennuis quotidiens qui ne sont pas moins importants que les leurs, je me demande pourquoi le pouvoir politique et la haute administration s'arrêtent à un discours de circonstance qui ne se traduit pas dans les faits et dans les conditions de traitement et de travail des cadres supérieurs de l'AP (c'est bien le libellé du statut de 2007 et le langage que nous tient notre administration, sans en tirer les conséquences pratiques autre que la mise en responsabilité) ».
Bref, je suis en colère...
Je suis en colère car, je suis ou je décide seul la plupart du temps. J'enchaîne sans jamais ne rien dire et avec une loyauté panurgienne,les astreintes de week-end et de semaine. Je fais le boulot, je bloque ma famille...
S'il y avait au final une quelconque reconnaissance, par exemple sous forme d'une IFO (la prime : trop rare mais seul moyen de récompense que met en place l'administration pour ses cadres) adaptée, cela permettrait de reconnaitre le travail fait dans des circonstances particulières. Je n'ai le droit qu'à une compréhension raisonnée.
Parle-t-on aujourd'hui de souffrances au travail, de risques psycho-sociaux, de burn-out ? Les DSP sont-ils exempts de cela ? Sans doute puisqu'ils « tiennent » dans le choc frontal comme dans l'usure de la durée. Mais pour combien de temps ?
Le suivi du parcours professionnel
Les postes de directeurs fonctionnels sont trop nombreux et barrent les facilités de parcours professionnels et géographiques. De même, les « barrières » créées par la nécessité de passer par des postes en DI ou en centrale sont des contraintes concrètes aujourd'hui (même pour les gestionnaires de la DAP) : les postes avec logement de fonction sont réduits à peau de chagrin, impliquant pour le DSP mobile une baisse de son niveau de vie.
Aucune contrepartie n'est prévue alors que le conjoint perd son emploi pour chaque déménagement contraint ou incité.
Tous ces petits « plus » liés à la fonction qui existaient auparavant nous sont supprimés au nom de l'alignement avec tout le monde (sauf que les DSP ne sont pas « comme tout le monde »). On nous le rappelle assez...
La contrainte de la mobilité
1. Le déménagement : les DSP doivent être les seuls fonctionnaires à supporter un statut si contraignant avec l'obligation de mobilité en ayant des prises en charge dignes de l'ancien régime : remboursements de la moitié des frais réels du déménagement, baisse du niveau de vie de la famille, emploi perdu ou différé du conjoint, implantation sociale...
Chaque mobilité peut se traduire par quelques 500 à 1000 km d'écart et loin de son noyau familial (maintenir le lien avec sa famille élargie). Je n'ai pas l'impression que les Directeurs d'hôpitaux connaissent une mobilité si régulière et, par ailleurs, leurs primes annuelles sont incomparables tout autant que leur indemnité de résidence domiciliaire (équivalente à un salaire).
Je remarque que les commissaires de Police changent souvent simplement de service dans une même ville ou un même département pour faire une mobilité et avoir toutefois de l'avancement.
Moi, DSP, je dois partir souvent loin, changer de ville, de maison, l'école de mes enfants, le travail du conjoint, pour faire cette mobilité et pour obtenir un avancement.
L'accompagnement social du bureau RH6 est nul :démarches pour un logement dans le parc locatif, montant arrêté pour remettre à niveau les logements du parc pénitentiaire, accompagnement des demandes de gardes de jeunes enfants, accompagnement des familles et particulièrement la dimension travail du conjoint ?
2. Le logement de fonction : les derniers textes en vigueur restreignent l'attribution de logements de fonction. Cela faisait partie des avantages qui faisaient que ces contraintes étaient supportables. Or, aujourd'hui beaucoup sont laissés sur le bord de la route entrainant une perte financière pour le fonctionnaire dans son parcours professionnel.
Que penser aussi du nombre de m² attribués ? Là aussi, il y a beaucoup à dire car les surfaces sont trop limitées et ne prennent en aucun cas la spécificité des DSP et leur mobilité. Rien ne prend en compte l'évolution de la situation du fonctionnaire et de sa famille et de la nécessité pour ce fonctionnaire de vivre socialement comme tout le monde : (dé- ou re-) composition de la famille, âge des enfants. Je considère que c'est injuste car on veut que je sois loyal, disponible, mobile (loin des proches et à proximité du poste occupé)... Et l'on ne prend pas en compte mes contraintes, au contraire, on les renforce...
Comme la plupart de mes collègues DSP, j'aime ce métier...
...qui me malmène pourtant. Et j'y tiens avec passion et rage de voir comment on nous traite alors que nous tenons la barre d'un bateau ivre et plein de voies d'eau.
Mais je crois aussi sincèrement qu'actuellement, on fait tout pour nous dégoûter. Je suis en train de me dire qu'il ne s'agit plus de me battre pour progresser mais pour éviter que ma fiche de paie soit réduite, de me battre pour que ma vie de famille n'implose pas et pour que je puisse continuer d'avoir un niveau de relations sociales raisonnable.
Mes arrêts maladie se comptent sur les doigts d'une main, aucune absence pour garde d'enfants, une disponibilité et une réaction aux événements immédiats et sur tous thèmes. Bref, un Directeur présent, réactif et loyal, quelle que soit la mission. Tout ça pour quoi ? Un divorce, une famille sacrifiée, une paye de catégorie B améliorée ?
Les astreintes de direction !
Cette dernière réflexion me paraît aussi essentielle : il est précisé dans un texte réglementaire que les astreintes font l'objet d'une récupération, sauf pour les DSP.
Un officier -article 10 avec logement NAS- va pouvoir récupérer, à juste titre, ses astreintes ou alimenter tranquillement un Compte-Epargne Temps.
Je trouve donc parfaitement injuste cette disposition réglementaire dissymétrique, voire discriminatoire et je me demande toujours quel justificatif est présenté pour continuer à maintenir une telle règle.
Cette norme doit être modifiée immédiatement.
Madame la Garde des Sceaux,
Madame la Directrice de l'administration pénitentiaire,
Mes très chers collègues,
Bien loin de crier seul dans le vent, je pense refléter ici le sentiment de fatigue, de colère, et d'espérance de la plupart des DSP encore présents dans le corps (vous remarquerez que ce chiffre réduit chaque semaine !!!).
L'hémorragie dénoncée assez vite par les OS de DSP et qui a étonnamment rassuré la DAP initialement, démontre bien (par le non retour de ces cadres à haut potentiel) l'épuisement professionnel que de simples discours financiers ne sauront soulager.
Si d'autres corps ont vu une revalorisation de leurs statuts et conditions de travail depuis 2007, même au sein du Ministère, pourquoi méprise-t-on les DSP avec des arguments spécieux du type « perte du dossier de réforme statutaire par la DGAFP ou le cabinet de la GDS», « travail préalable sur les missions du corps »...
→ Cet appel au secours et à l'indignation doit être entendu par la DAP, la GDS, la DGAFP ».
Fresnes, le 18 avril 2014
Un Directeur des Services Pénitentiaires